L’ombre – fantôme, spectre, revenant – existe dans la littérature, dans les mythologies et les légendes, dans l’imagination des hommes, depuis des millénaires. Le thème du défunt qui a été victime d’un refou lement familial ou social et qui de ce fait ne peut trouver de statut même dans la mort, est omniprésent dans toutes les cultures et dans toutes les civilisations. Le réveil glorieux des spectres en pleine époque des Lumières peut paraître de prime abord paradoxal. Le spectre qui hantait les légendes, qui arpentait les planches du théâtre élisabéthain et jacobéen, finit par revenir sur le devant de la scène à la fin du XVIIIe siècle pour achever son apothéose un siècle plus tard, avec Bram Stoker, qui donne à son célèbre roman le nom du revenant, Dracula. Par définition ni vivant ni mort, être hybride entre deux mondes, entre réalité et imagination, le spectre appartient bien au gothique, genre qui se définit précisément par l’entre-deux. Le spectre resurgit des ténèbres humides du tombeau de la même façon que le secret enfoui par l’inconscient au plus profond de l’âme humaine, sous l’effet du mécanisme du refoulement, finit par refaire surface à l’occasion d’un événement catalyseur. Si l’on craint le fantôme (comme Madame du Deffant l’exprime si spirituellement), c’est que l’on redoute en réalité le retour à la surface d’éléments enfouis, de secrets terribles qui ont été ensevelis parce qu’ils menaçaient l’ordre des choses.
Elizabeth Durot-Boucé est Professeur de Langue et Littérature anglaises à l’Université Le Havre-Normandie. Son domaine de recherche englobe l’histoire des idées, la littérature et la traduction. Spécialiste du Siècle des Lumières, elle vient de publier Emily philosophe ou le Goût du plaisir. À l’ombre des Lumières, roman gothique et roman libertin (2017) et Chemins de traverse (2018).