Homo sapiens et demens, l’homme est un sujet qui pense de manière rationnelle mais c’est aussi un être possédé par des forces qui le submergent. Il y a en l’être humain un désir non satisfait de s’envoler vers l’infini, de « rêver un impossible rêve ». Le désir aspire à se dire et le rêve – « voie royale vers l’Inconscient » – donne accès à la vérité cachée : il n’a pas vocation de dire mais de faire voir.
C’est d’un rêve qu’est né le premier roman gothique: rêve de château médiéval, avec énorme escalier, main de géant, gantelet de fer moyenâgeux. Ce rêve fait une nuit de juin 1764, Walpole l’explique par l’obsession dont il est hanté pour l’architecture gothique, occupé qu’il est à agrandir sa demeure, Strawberry Hill, dans ce style. Car son premier rêve est architectural : bâtir « un petit château gothique », celui de ses ancêtres. Et son roman « Le Château d’Otrante n’est rien d’autre qu’un nouvel effort pour approcher davantage de son rêve », affirme Maurice Lévy. Horace est fasciné par le passé car, dit-il, il est plus sage d’échanger la réalité pour les rêves et de privilégier les lieux et les objets du passé qui nous ramènent à des jours anciens qui ne sauraient nous décevoir. Chez Horace Walpole, figure de la marge, voué par son homosexualité à se révolter contre un modèle social qui lui impose silence et dissimulation, la rébellion est omniprésente, trouvant à s’exprimer dans le recours au mode gothique. L’irrégularité du gothique est le reflet de l’irrégularité de la nature de Walpole.

Elizabeth Durot-Boucé est Professeur de Langue et Littérature anglaises à l’Université Le Havre Normandie. Son domaine de recherche englobe l’histoire des idées, la littérature et la traduction. Spécialiste du Siècle des Lumières, elle a publié, entre autres, Emily philosophe ou le Goût du plaisir (2017), Chemins de traverse (2018) et Boomerang. D’idées et de désirs (2019). Elle est en train d’achever une monographie sur Horace Walpole qui devrait paraître courant 2020.